Rêve — 018

Rêve de la nuit du 17 au 18 février 2021.

Je rêvais. Dans mon rêve, une oracle ressemblant à Ho-Baba, la vieille dame dans Nausicâa de la Vallée du vent, nous annonçait la fin du monde dans 72 heures. Tout le monde était apeuré, moi aussi. Ho-Baba riait doucement, elle avait le même caractère que la Sorcière des Landes du Chateau Ambulant. Elle regardait mon air ahurie et me disait alors : “toi je ne vais pas t’effacer la mémoire, je sais que tu te souviens de tes rêves. Je vais te laisser comme ça, je veux voir ce que tu vas faire, ce que tu feras. De toute façon tu ne pourras en parler à personne, si tu leur disais, personne ne te croirait. J’ai envie de voir ce que tu feras.” J’étais désespérée, c’était cruel… Et là je me réveillais.

Effectivement, je me souvenais de mon rêve, mais je ne voulais pas y croire. Je ne voulais pas croire qu’il s’agissait d’un rêve prémonitoire. Je ne voulais pas croire qu’il nous restait 72 heures à vivre toustes ensemble, ça me paraissait irréaliste, et sûrement trop injuste. Je continuais de vivre alors, sans en parler aux autres. Je vivais normalement, j’allais au travail, je discutais avec mes collègues et avec mes amis. Puis, 71 heures passèrent. À la dernière heure, je comprenais que trop d’éléments avaient changé. Des choses logiques et normales avaient disparu ou n’étaient plus logiques finalement. J’étais dans la maison familiale, bien qu’elle ne ressemblait en rien à la véritable maison de mes parents. Il s’agissait d’une maison plain-pied avec des tapisseries différentes dans chaque pièce; dans le salon, une grande baie vitrée encadrée de bois sombre donnait sur la rue. Je me tournais vers ma sœur* et je lui disais : en fait, ça y est je crois qu’on y est, c’est vraiment la fin du monde. J’ai déjà vu ça en rêve**. Nous nous tenions la main, elle était comme mon ombre. Toujours à mes côtés. Et nous allions alors devant la grande baie vitrée, pour voir l’état du ciel. Une sorte de neige incandescente tombait du ciel, comme de gros flocons mais lumineux, doux, légers. Comme plein de petites LEDs blanches/jaunes qui se déposaient doucement sur le sol, puis les bâtiments, puis les gens, petit à petit, tout devenait de plus en plus lumineux. Je n’étais pas stressée, un peu angoissée parce que j’avais déjà vécu ça auparavant et parce que je n’avais pas pu dire à d’autres personnes que ma sœur (qui était toujours à côté de moi) que je les aimais. Je lui avais dit “Je t’aime !!” très fort. On dirait que je dissociais : je me souviens d’avoir été très calme, mais d’avoir le cœur légèrement serré, et de crier, à cause de la panique, mais que je ne ressentais pas vraiment.

J’étais un peu angoissée, mais je savais qu’il était vain de lutter, d’être en désaccord. Alors petit à petit, plus le décor devenait lumineux, plus je devenais sereine. C’était doux et rapide. Je me souviens penser “ça y est, c’est la fin.” Presque comme une question. Et là, entre “ça y est” et “c’est la fin”, un flash lumineux. Ce n’étais pas aveuglant, juste, tout blanc. Que du blanc. Le blanc absolu.

Puis, fondu, je me trouvais ailleurs.
Dans une grande maison, tapisserie jaune orangée, effet peinture épaisse posée à la truelle, avec des panneaux de bois qui revenait jusqu’à hauteur de la taille (du lambris), décor assez rustique, typiquement européen. Il y avait beaucoup de monde, plein de gens que j’ai connu, qui passaient, sans que je ne reconnaisse leur visage. Puis, je remarquais quelqu’un, un ancien camarade de classe pour qui j’ai eu le béguin à l’époque, et qui est parti vivre en Angleterre : Marc***. Je me demandais s’il était revenu en France “pour l’occasion” (=pour la fin du monde). Il était extrêmement triste. Je décidais d’aller le voir pour lui demander ce qui n’allait pas et le réconforter. Il tenait à peine debout, le chagrin était trop lourd à porter, alors je le supportais, je l’aidais à marcher. Il y avait un petit cabinet de toilettes où je l’emmenais pour qu’il puisse éponger ses yeux et ses joues avec du papier toilette rose bas de gamme.

Après cette micro pause, il commençait à devenir trop lourd pour moi et surtout il ne voulait plus marcher, il continuait de pleurer. On s’est donc assis par terre, et c’est là qu’il a commencé à m’expliquer : “ma mère a appelé, mon chat, notre chat n’a pas survécu, il n’a pas tenu le choc, il a disparu, plus personne ne le retrouve, il a disparu, c’est vrai qu’apparemment il était en mauvaise santé, mais je ne voulais pas, je voulais le revoir, je voulais le revoir mais je ne suis pas arrivé à temps.” J’étais si triste et compatissante pour lui. Je ne pouvais que le prendre dans mes bras pour tenter de le consoler. Et puis, au moment où il se calmait, j’entendais des gens me dire “c’est vrai, tu as un chat toi aussi. Tes parents. Ta famille”. Les voix se mêlaient, je ne pouvais distinguer les gens qui me parlaient. Je me rendais compte qu’ils ne m’avaient ni contacté, ni manqué, ni quoique ce soit. Je commençais peu à peu à culpabiliser, sous le coup de la pression sociale… Je disais alors, à demi sanglotant “c’est vrai ça, je n’ai pas eu de nouvelles de mes parents en fait”. Marc reprit ses esprits et me dit : “si tu veux on peut y aller, on peut aller les voir, j’ai une voiture.” “Ah oui, c’est vrai, la rouge” me disais-je. Nous nous accordions alors à partir ensemble, direction le nord de la France. La voiture rouge métallique avançait sans mal sur une route vide entourée d’un paysage enneigé. Il semblait avoir neigé très fort, et en très peu de temps. Je ne voyais même pas le rapport avec la neige incandescente qui avait effacé toute existence sur la Terre. Tout était “normal”, sans bizarrerie. C’était comme un nouveau rêve. Ou juste un nouveau jour de vie.

Sur le trajet qu’il me semblait reconnaître à moitié, mi printanier mi hivernal car malgré la neige les arbres étaient verts et feuillus, je commençais à suffoquer en pensant à ma famille que je n’avais pas contactée et qui ne m’avait pas contactée non plus. Ce manque de communication socialement illogique et si étrange me pesait beaucoup. Je ressentais beaucoup d’anxiété, et je sentais ma respiration devenir plus compliquée, moins efficace, de plus en plus profonde et rapide… Je commençais une crise d’angoisse. J’avais peur de refaire une crise complète, de ne pas savoir l’arrêter, et de retomber dans les pommes en apnée. Marc me voyait me débattre avec mes propres pensées et me conseillait alors de sortir de la voiture une fois garée sur le bas côté. Je le remerciais comme je pouvais -brièvement donc- lorsqu’il me tendait un bébé. Il me dit « tiens, prends le bébé, fais attention à toi, protège-le! »

Sans me demander d’où sortait ce bébé, je me focalisais sur notre survie à tous les deux. Le nourrisson ne faisait pas de bruit et ne bougeait pas vraiment, mais je le pensais/ savais en vie. Il était enveloppé dans un épais tissu gris foncé. Je le serrais tout contre moi, pour le protéger du froid. Je sortais de la voiture avec le bébé, puis, dès que je me retournais pour analyser le décor, savoir où aller, la voiture rouge disparaissait au loin. Le conducteur s’était arrêté au milieu d’une départementale, il devait forcément poursuivre son chemin jusqu’à une prochaine sortie potentielle. De l’autre côté de la route que je traversais d’un pas, je découvrais un village enneigé dans une douce obscurité qui accentuait les lumières colorées des guirlandes LEDs parcourant les rues. Ce n’était pas Noël, ou les célébrations non religieuses qui peuvent s’y apparenter. Il s’agissait juste de décorations colorées, douces, qui rendaient l’atmosphère du village bien joviale. Malgré tout, je me souvenais ma mission : je devais trouver un endroit sûr. J’étais arrivée derrière un bâtiment plain-pied en pierre d’un ocre délavé et de ciment grossier qui me semblait être une maison ou à la rigueur, une petite boutique de quartier. Je me faufilais entre ce bâtiment et un autre qui lui ressemblait presque en tout point. En effet, même si j’étais à la fin d’une petite rue, à la limite du village, j’avais comme visité l’allée centrale du village juste en y jetant un coup d’œil, en y regardant de plus près, comme une projection astrale rapide et facile.

En passant dans la ruelle, sur ma droite, je remarquais une porte. Pleine d’espoir, je me lançais sur la poignée comme la mer se meut sur les rochers du littoral. Naturellement, la porte n’était pas fermée à clef. J’arrivais dans une large salle décorée à la manière des années 1910. Des meubles sculptés dans du bois foncé, très vernis, surmontés de quelques bustes de marbres blancs et de lampes à têtes larges et vertes émeraudes. La tapisserie au dessus du lambris sombre avait des rayures et des tons jaune et vert foncé. Dessus, de petites illustrations se répétaient sur toute la hauteur de la pièce. Le décor semblait m’absorber le temps d’une seconde mais je reprenais vite mes esprits et trouvais un siège en cuir volumineux au milieu d’un des deux côtés de la pièce. Il me faisait penser aux fauteuils de mon grand-père maternel. Je m’y asseyais pour surveiller l’état du nourrisson… Qui avait disparu. Il n’était plus là. Je me disais juste « tiens, il n’est plus là » presque en entendant « tiens il est parti ». Je me rendais aussi compte que je respirais à nouveau normalement. Je n’étais plus angoissée. De ce fait, j’étais alors soulagée. Je prenais un peu le temps de promener mon regard dans la pièce que je venais de découvrir. Toute cette scénographie me convainc à me dire que j’avais trouvé refuge dans une mairie de village. Puis je remarquais qu’une petite double porte battante de café / saloon se trouvait au milieu du mur en face de la porte par laquelle j’étais entrée. Étrangement, je ne l’avais pas remarquée dans l’opulence globale de décoration. Du bruit venait de la pièce derrière cette légère séparation. J’allais sur le seuil de la porte sans bas, lancer un coup d’œil.

De l’autre côté du bureau où j’étais, se trouvait une grande salle à manger, meublée dans le même style, mais avec moins d’arrogance. Devant les longues et fines fenêtres, légèrement cachées par un voile vert d’eau, la table était mise pour six personnes, avec un chandelier portant de longues bougies rouges à son centre. À la gauche de la table, se trouvait une grande bibliothèque, toujours dans le même bois sombre et trop vernis. Elle avait une partie inférieure avec des portes sculptées et une partie supérieure vitrées de légers verres qui laissaient entrevoir quelques bouquins malgré les reflets des fenêtres. Personne n’était dans la pièce, mais les bouts de conversation devenaient de plus en plus perceptibles. Des gens allaient entrer dans la pièce, par une entrée à ma droite, encore. Il n’y avait pas de porte cette fois-ci. C’était juste une arche qui semblait mener vers la cuisine et vers l’entrée de la mairie / de la maison. Il y avait beaucoup de lumière par là-bas, je ne pouvais pas voir grand chose et surtout qui allait arriver dans la pièce où je m’étais invitée trop naturellement.

Un groupe de cinq personnes arrivaient, donc quatre inconnu-e-s que je ne voyais pas vraiment. J’étais bouche bée. La première personne à être entrée dans la salle à manger me faisait oublier toutes les autres personnes autour. C’était mon grand-père maternel décédé il y a quelques années. J’étais abasourdie, mais je ne comprenais pas pourquoi. Il me disait « Ah, LeMal, tu es là ! On t’attendait, il ne manquait plus que toi. » J’étais trop choquée pour répondre, je ne faisais que m’avancer lentement vers lui. Je me demandais si tout cela était bien réel, si c’était bien lui. Il portait son emblématique gilet en laine fine verte foncée. Et surtout : il se portait bien. Il était debout, vif, lucide, droit et de bonne humeur comme à son ancienne habitude. J’étais perplexe et si heureuse de le retrouver. Je ne saisissais pas qu’il était décédé, dans la réalité. Et que moi aussi, dans ce rêve. Il était juste là, devant moi. J’étais interloquée de le voir sans comprendre vraiment pourquoi. Juste surprise et hébétée. Je ne savais quoi répondre. Mon grand-père me disait alors, comme s’il avait déjà compris ce qu’il venait de m’arriver : « eh bah oui, t’as des problèmes pour respirer, c’est parce que tu fumes ça ! C’est pas bien faut pas fumer ! » Mon regard se dirigeait alors automatiquement sur la cigarette Gitane qu’il venait d’allumer. Il y avait une épaisse fumée qui s’en dégageait, comme à son ancienne habitude, mais pas d’odeur. C’était une remarque faite d’amour et de bienveillance. Il n’était pas moralisateur. Il rigolait et me lançait, sans gêne aucune : « oui mais bon, moi c’est normal, c’est pas pareil », comme s’il essayait de me dire « je n’ai plus de problème de santé, puisque je n’ai plus de santé. Alors ce n’est pas grave ». Il m’invitait alors à m’asseoir à table avec lui et les autres membres du groupe, que je ressentais petit à petit comme étant mes aïeux inconnus, partis trop tôt pour que je les connaisses.

Fin.

*ma sœur = physiquement, c’est ma grande sœur plus jeune, comme quand on était petite, je sentais la complicité entre nous. Mais je crois qu’il s’agit plutôt de moi. De ce que j’ai été, de ce que je suis toujours, amis que j’essaie de mettre de côté. Mon passé, ma famille, mes traumatismes, mon histoire, mon amour, ma tristesse, ma solitude, mais surtout mon amour, mon enfance, moi.

**j’ai déjà vu ça en rêve = j’ai déjà fait un rêve de la fin du monde, la nuit de Noël 2020. Dans ce rêve, des oracles m’annonçait la fin du monde et je me précipitais alors vers la fenêtre pour voir la pluie de météorites et d’astéroïdes qui tombaient sur la Terre. Le temps que tout disparaisse, je réunissais tous mes amis pour faire une dernière fois la fête ensemble.

***Marc = C’était Marc, il avait le rôle de Marc, mais pas seulement. Je pense qu’il représentait aussi mes amis (anciens collègues) qui sont partis soit de l’endroit où je travaille, soit de Paris.


Post-scriptum : Il m’a fallu deux grosses sessions d’écriture et une bien plus courte pour rédiger ce rêve. J’avais peur de ne pas m’en souvenir mais apparemment il m’est plus facile de me remémorer des rêves que des journées chargées lors d’un festival. Même après tant de mois.

Beaucoup de symbolique dans ce très long rêve qui m’avait réellement déboussolée pendant 72 heures. La fin du monde annoncée par Ho-Baba dans mon rêve devait alors prendre effet le samedi 20 février à 9h00. Heureusement il ne s’agissait pas d’un rêve prémonitoire et oui, même si j’en parlais à mes proches, personne ne croyait à cette sorte de prophétie.

Je pense que le bébé était le poids de mes peurs. Le fait que Marc, l’ami « disparu » et toute sa symbolique concrète, me le confie était sûrement un moyen de me dire « tiens, tu as peur mais ça va aller si tu arrives à te calmer, à te concentrer sur quelque chose d’autre » en soit, à vivre le moment présent.
Trouver un endroit sûr pour le bébé et moi, c’est très littéral. En effet, lorsque je faisais des crises de tétanies et de spasmophilie avec de l’apnée, c’était quand je ne me sentais pas en sécurité, grossièrement.

Le village décoré de LEDs colorés semble être « mon endroit » rêvé. Une sorte de lieu où je pourrais apparement me retrouver, redevenir sereine et en sécurité. En effet, j’ai des guirlandes électriques chez moi, et j’aimerai beaucoup en avoir des colorées. Y penser me semble comme avoir un « rêve », un but, un doux dessein pour me satisfaire. D’ailleurs, la plupart des intérieurs ont les mêmes caractéristiques : de la tapisseries jaune, parfois chaude (orangée), parfois froide (verte), du lambris de bois parfois en acacia doré par le vernis, parfois sombre comme de l’ébène de Macassar, des meubles toujours en bois et sculptés en tout cas.

Les personnes que je connaissais sans reconnaître leur visages me semblent être des âmes dans l’au-delà, ou dans l’entre-deux si celui-ci se permet d’exister. Des personnes que j’aurais rencontré au moins une fois dans ma vie mais qui n’ont pas forcément marqué mon esprit.

Il y a aussi beaucoup à dire par rapport à mon alter-ego que je retrouve assez souvent dans mes rêves. Cette espèce de sœur qui ne ressemble pas vraiment à ma grande sœur et qui me comprend et me connaît par cœur. J’aimerai y réfléchir à tête un peu plus reposée. Cela pourrait devenir une thématique d’article.

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